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POÈTES



Comme un cadavre au sépulcre endormi
Je sens déjà peser l’oubli du monde
Qui tout vivant m’a couvert à demi.


Quand il écrivait ces vers de la Dernière Nuit, le poète dont on inaugurait le buste à Rouen l’autre jour, Louis Bouilhet, songeait au noir guignon qui le poursuivit jusqu’à la mort. Il fut pauvre et il demeura toujours un peu méconnu du public, bien que mis à sa place par les vrais lettrés.

Il était un poète-artiste, et l’art, en poésie comme en prose, est ce qui demeure le plus méconnu du lecteur vulgaire. Le commun des hommes veut tout simplement qu’on lui exprime avec des rimes les choses qu’il pense communément. La rime n’est guère pour lui qu’un moyen mnémotechnique ; et il demeure étranger aux subtiles délicatesses des rythmes, à l’ordonnance euphonique des mots, à la concordance de l’harmonie avec l’idée. Et voilà pourquoi le public, presque toujours, prend l’ombre pour la réalité, les faux