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abandonnée. Elle se tua. Les magistrats anglais n’eurent point assez d’injures, d’expressions infamantes, sanglantes, méprisantes pour flétrir l’infâme ravisseur.

Messieurs, vous eussiez fait comme eux. Eh bien, vous ne connaissez pas la femme, vous ne la comprenez pas, vous êtes odieusement injustes.

Écoutez-moi.

J’étais alors tout jeune officier, en garnison dans un port de mer. J’allais dans le monde, j’aimais la valse et j’étais timide, comme je vous l’ai dit. Bientôt je crus m’apercevoir qu’une femme mûre, assez belle encore, mariée, mère de famille et irréprochable, disait-on, me remarquait. Quand nous dansions son œil restait fixé sur le mien, si aigu, que je ne pouvais m’y tromper. Elle ne me dit rien sans doute. Est-ce qu’une femme parle, doit parler, peut parler ? Est-ce qu’un regard comme elle sait en avoir n’est pas plus provocant, plus impudique, plus clair que toutes nos déclarations brûlantes ? Je fis semblant de ne pas comprendre d’abord. Puis la persistance de cette muette provocation me troubla. Je lui murmurai dans l’oreille des choses tendres. Un jour elle s’abandonna. Je l’avais séduite, Messieurs. Me l’a-t-elle assez reproché !…

Elle m’aima d’une passion terrible, incessante, jalouse, féroce. « Tu m’as voulue » disait-elle. Que pouvais-je répondre ? Lui reprocher ses regards ? Soyez juges, mes-