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PÉTITION
D’UN VIVEUR MALGRÉ LUI



Messieurs les présidents des tribunaux,
Messieurs les magistrats,
Messieurs les jurés,

Maintenant que je suis désintéressé dans la question, vu mon âge et mes cheveux blancs, je viens protester contre vos jugements, contre la partialité révoltante de vos décisions, contre cette sorte de galanterie aveugle qui vous pousse à conclure toujours pour la femme contre l’homme, chaque fois qu’une affaire d’amour est portée devant votre tribunal.

Je suis vieux, messieurs, j’ai beaucoup aimé, ou plutôt, souvent aimé. Mon pauvre cœur, bien meurtri, frissonne encore au souvenir des anciennes tendresses. Et par les tristes nuits solitaires où la vie passée ne nous apparaît plus qu’à l’état d’illusion finie, où les aventures lointaines, ternies comme les tapisseries effacées, nous donnent soudain des secousses de tristesse, et font monter aux yeux ces larmes douloureuses qu’on verse sur l’irréparable, j’ouvre en tremblant une humble caisse de noyer où gisent mes lamentables gages d’amour, où dort ma vie accomplie maintenant, où remue, quand j’y