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nous vécûmes de cette vie horrible de l’adultère en fuite.

Un matin, son mari entrait chez moi. Il fut sans violence et même sans colère. Il venait chercher sa femme, non pour lui, mais pour ses enfants, pour ses deux filles.

Je ne demandais pas mieux que de la rendre, croyez-moi, messieurs les jurés.

Je la fis venir, et je la laissai seule avec l’époux abandonné. Elle refusa de le suivre. À mon tour, je la priai, je la suppliai, et, spectacle étrange, invraisemblable, le mari et moi, nous l’implorions, moi pour qu’elle me quittât, lui pour qu’elle le suivît.

Elle nous jeta ces mots : « Vous êtes deux misérables ! » et sortit là-dessus.

Le mari prit son chapeau, me salua, prononça un : « Je vous plains, monsieur, » venu du cœur, et s’en alla.

Je la gardai encore six ans. Elle avait l’air de ma mère. Elle mourut.

Eh bien, messieurs, cette femme auparavant n’avait jamais fait parler d’elle. On ne lui avait soupçonné jamais aucune faiblesse, et, pour tout le monde, c’est moi qui l’ai perdue, traînée dans le ruisseau, tuée. J’ai déshonoré sa famille, semé la honte autour de moi. Je suis un misérable et un gueux.

Vous m’avez condamné à l’unanimité.

Cette histoire avait fait grand bruit. J’étais un séducteur. Toutes les femmes me contemplaient avec une curiosité