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— Il a raison, très raison. C’est une fille de paysans… Eh bien quoi, elle vaut mieux qu’une fille d’aventuriers ou qu’une fille tout court. Je connais Paul. Il aurait fini par épouser une gueuse pourvu qu’elle lui eût résisté six semaines. Et pour lui résister il fallait une rosse ou une innocente. Il est tombé sur l’innocente. Tant mieux pour lui.

Christiane écoutait, et chaque mot entrant dans son oreille lui allait jusqu’au cœur, et lui faisait mal, un mal horrible.

Elle dit, en fermant les yeux :

— Je suis bien fatiguée. Je voudrais me reposer un peu.

Ils l’embrassèrent et partirent.

Elle ne put dormir, tant sa pensée s’était réveillée active et torturante. Cette idée qu’il ne l’aimait plus, plus du tout, lui devenait tellement intolérable, que si elle n’eût pas vu cette femme, cette garde assoupie dans un fauteuil, elle se serait levée, aurait ouvert sa fenêtre, et se serait jetée sur les marches du perron. Un très mince rayon de lune entrait par une fente de ses rideaux et posait sur le parquet une petite tache ronde et claire. Elle l’aperçut ; tous ses souvenirs l’assaillirent ensemble : le lac, le bois, ce premier « Je vous aime », à peine entendu, si troublant, et Tournoël, et toutes leurs caresses, le soir, par les chemins sombres, et la route de La Roche-Pradière. Tout à coup, elle vit cette route blanche, par une nuit pleine d’étoiles, et lui, Paul, tenant par la taille une femme