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— Tu m’attendais là-bas, ce soir-là, dit-elle.

Et elle lui tendit ses lèvres. Il les baisa sans répondre, d’un baiser froid.

Elle murmura, pour la deuxième fois :

— Te souviens-tu, comme tu m’embrassais par terre ? Nous étions ainsi, regarde.

Et, dans l’espoir qu’il recommencerait, elle se mit à courir pour s’éloigner de lui. Puis elle s’arrêta, haletante, et attendit, debout au milieu de la route. Mais la lune, allongeant son profil sur le sol, y dessinait la bosse de son flanc déformé. Et Paul, regardant à ses pieds l’ombre de sa grossesse, restait immobile en face d’elle, blessé dans ses pudeurs poétiques, exaspéré qu’elle ne sentît pas cela, qu’elle ne devinât point sa pensée, qu’elle n’eût pas assez de coquetterie, de tact et de finesse féminine pour comprendre toutes les nuances qui font si différentes les circonstances ; et il lui dit, avec une impatience dans la voix :

— Voyons, Christiane, ces enfantillages sont ridicules.

Elle revint à lui, émue, triste, les bras ouverts, et se jetant sur sa poitrine :

— Oh ! tu m’aimes moins. Je le sens ! J’en suis sûre !

Il eut pitié, lui prit la tête et mit sur ses yeux deux longs baisers.