Page:Maupassant - Mont-Oriol, éd. Conard, 1910.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un honnête homme, en ayant l’air de le redouter.

Le marquis reprit :

— Allez, allez ! Moi, je vous attends. Alors, elle songea que son père resterait à portée de leurs voix, et elle dit résolument :

— Allons, monsieur.

Ils partirent côte à côte.

Mais à peine eut-elle marché pendant quelques minutes qu’elle se sentit envahie par une émotion poignante, par une peur vague, mystérieuse, peur de la ruine, peur de la nuit, peur de cet homme. Ses jambes devenues molles tout à coup, comme l’autre soir au lac de Tazenat, refusaient de la porter plus loin, ployaient sous elle, lui paraissaient s’enfoncer dans la route, où ses pieds demeuraient tenus quand elle voulait les soulever.

Un grand arbre, un châtaignier, planté contre le chemin, abritait le bord d’une prairie. Christiane, essoufflée comme si elle eût couru, se laissa tomber contre le tronc. Et elle balbutia :

— Je m’arrête ici… On voit très bien.

Paul s’assit à côté d’elle. Elle entendait battre son cœur à grands coups précipités. Il dit après un court silence :

— Croyez-vous que nous ayons déjà vécu ?

Elle murmura, sans avoir bien compris ce