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soir très tard, passait et pleurait par moments dans le silence profond du vallon. Christiane l’entendait à peine. Il cessait puis reprenait, le cri grêle et douloureux des cordes nerveuses.

Et cette lune perdue dans ce ciel désert, et ce faible son perdu dans la nuit muette, lui jetèrent au cœur une telle émotion de solitude qu’elle se mit à sangloter. Elle tremblait et tressaillait jusqu’aux moelles, secouée par l’angoisse et les frissons des gens atteints d’un mal redoutable ; et elle s’aperçut brusquement qu’elle aussi était toute seule dans l’existence.

Elle ne l’avait pas compris jusqu’à ce jour ; et maintenant elle le sentait si vivement à la détresse de son âme, qu’elle se crut devenue folle.

Elle avait un père ! un frère ! un mari ! Elle les aimait pourtant et ils l’aimaient ! Et voilà que tout à coup elle s’éloignait d’eux, elle leur devenait étrangère comme si elle les connaissait à peine ! L’affection calme de son père, la camaraderie amicale de son frère, la tendresse froide de son mari, ne lui paraissaient plus rien, plus rien ! Son mari ! C’était donc son mari, cet homme rose et bavard qui lui disait avec indifférence : « Vous allez bien, ce matin, chère amie ? » Elle lui appar-