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LES EMPLOYÉS



Comme je passais dans cette foule compacte, dans cette foule engourdie, lourde, pâteuse, qui coulait lentement dimanche, sur le boulevard comme une épaisse bouillie humaine, plusieurs fois ce mot me frappa l’oreille : « La gratification ». En effet, ce qui remuait si difficilement le long des trottoirs, c’était le peuple des employés.

De toutes les classes d’individus, de tous les ordres de travailleurs, de tous les hommes qui livrent quotidiennement le dur combat pour vivre, ceux-là sont le plus à plaindre, sont les plus déshérités de faveurs.

On ne le croit pas. On ne le sait point. Ils sont impuissants à se plaindre ; ils ne peuvent pas se révolter ; ils restent liés, bâillonnés dans leur misère, leur misère correcte, leur misère de bachelier.

Comme je l’aime, cette dédicace de Jules Vallès : « À tous ceux qui, nourris de grec et de latin, sont morts de faim ! »


Voici qu’on parle d’augmenter le traitement des députés, ou plutôt, voici que les députés parlent d’augmenter leur traitement. Qui donc parlera d’augmenter celui des employés, qui rendent ma foi, autant de discutables services que les bavards du palais Bourbon ?