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La Bretagne est le pays des souvenirs persistants. À peine en a-t-on foulé le sol qu’on vit dans les siècles passés. Le combat des Trente est d’hier ; vous doutez que Du Guesclin soit mort, et dans les environs de Quiberon le sang des chouans massacrés n’a point séché.

J’avais quitté Vannes le jour même de mon arrivée, pour aller visiter un château historique, Sucinio, et, de là, gagner Locmariaker, puis Carnac et, suivant la côte, Pont-l’Abbé, Penmarch, la Pointe du Raz, Douarnenez.

Le chemin longeait cette étrange mer intérieure qu’on appelle le « Morbihan », si pleine d’îles que les habitants les disent aussi nombreuses que les jours de l’année.

Puis je pris à travers une lande illimitée, entrecoupée de fossés pleins d’eau, et sans une maison, sans un arbre, sans un être, toute peuplée d’ajoncs qui frémissaient et sifflaient sous un vent furieux, emportant à travers le ciel des