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VIEUX OBJETS

mourront point comme les autres, ceux dont les traits, les yeux aimants, la bouche, la voix sont disparus à jamais. Mais je retrouve dans le fouillis des bibelots usés ces vieux petits objets insignifiants qui ont traîné pendant quarante ans à côté de nous sans qu’on les ait jamais remarqués, et qui, quand on les revoit tout à coup, prennent une importance, une signification de témoins anciens. Ils me font l’effet de ces gens qu’on a connus indéfiniment sans qu’ils se soient jamais révélés, et qui, soudain, un soir, à propos de rien, se mettent à bavarder sans fin, à raconter tout leur être et leur intimité qu’on ne soupçonnait nullement.

Et je vais de l’un à l’autre avec de légères secousses au cœur. Je me dis : « Tiens, j’ai brisé cela, le soir où Paul est parti pour Lyon », ou bien : « Ah ! voilà la petite lanterne de maman, dont elle se servait pour aller au salut, les soirs d’hiver ».

Il y a même là-dedans des choses qui ne disent rien, qui viennent de mes grands parents, des choses donc que personne de vivant aujourd’hui n’a connues, dont personne ne sait l’histoire, les