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L’ORPHELIN

tait de nouveau son œil sur elle. Où qu’elle allât, il la poursuivait de son regard obstiné.

Parfois, quand elle se promenait dans son petit jardin, elle l’apercevait tout à coup blotti dans un massif comme s’il se fût mis en embuscade ; ou bien, lorsqu’elle s’installait devant son logis à raccommoder des bas, et qu’il bêchait quelque carré de légumes, il la guettait, tout en travaillant, d’une façon sournoise et continue.

Elle avait beau lui demander :

— Qu’as-tu, mon petit ? Depuis trois ans tu deviens tout différent. Je ne te reconnais pas. Dis-moi ce que tu as, ce que tu penses, je t’en supplie.

Il prononçait invariablement, d’un ton calme et fatigué :

— Mais je n’ai rien, ma tante !

Et quand elle insistait, le suppliant :

— Eh ! mon enfant, réponds-moi, réponds-moi quand je te parle. Si tu savais quel chagrin tu me fais, tu me répondrais toujours et tu ne me regarderais pas comme ça. As-tu de la peine ? Dis-le-moi, je te consolerai…

Il s’en allait d’un air las en murmurant :