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LE CLAIR DE LUNE

de s’embrasser pour recommencer aussitôt.

Puis elles parlèrent, s’interrogeant sur leur santé, leur famille, et mille autres choses, bavardant. Jetant des mots pressés, coupés, sautant l’un après l’autre, pendant que Mme  Henriette défaisait son chapeau.

La nuit était tombée. Mme  Roubère sonna pour avoir une lampe, et, dès que la lumière fut venue, elle regarda sa sœur, prête à l’embrasser encore. Mais elle demeura saisie, effarée, sans parler. Sur les tempes, Mme  Létoré avait deux grandes mèches de cheveux blancs. Tout le reste de sa tête était d’un noir sombre et luisant ; mais là, là seulement, des deux côtés, s’allongeaient comme deux ruisseaux d’argent qui se perdaient aussitôt dans la masse sombre de la coiffure. Elle’avait pourtant vingt-quatre années à peine et cela était venu subitement depuis son départ pour la Suisse. Immobile, Mme  Roubère la regardait stupéfaite, prête à pleurer comme si quelque malheur mystérieux et terrible se fût abattu sur sa sœur ; et elle demanda :

— Qu’as-tu, Henriette ?