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une petite pensionnaire. La vue des voiturettes de fleurs qu’on traîne dans les rues me tirait les larmes. L’odeur des violettes venait me chercher à mon fauteuil, derrière ma caisse, et me faisait battre le cœur ! Alors je me levais et je m’en venais sur le pas de ma porte pour regarder le bleu du ciel entre les toits. Quand on regarde le ciel dans une rue, ça a l’air d’une rivière, d’une longue rivière qui descend sur Paris en se tortillant ; et les hirondelles passent dedans comme des poissons. C’est bête comme tout, ces choses-là, à mon âge ! Que voulez-vous, monsieur, quand on a travaillé toute sa vie, il vient un moment où on s’aperçoit qu’on aurait pu faire autre chose, et, alors, on regrette, oh ! oui, on regrette ! Songez donc que, pendant vingt ans, j’aurais pu aller cueillir des baisers dans les bois, comme les autres, comme les autres femmes. Je songeais comme c’est bon d’être couché sous les feuilles en aimant quelqu’un ! Et j’y pensais tous les jours, toutes les nuits ! Je rêvais de clairs de lune sur l’eau jusqu’à avoir envie de me noyer.

Je n’osais pas parler de ça à M. Beaurain dans les premiers temps. Je savais bien qu’il se moquerait de moi et qu’il me renverrait vendre mon fil et mes aiguilles ! Et puis, à vrai dire, M. Beaurain ne me disait plus