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que chaque impression reçue produise en eux une sorte de concert de toutes les facultés perceptrices ?

Et n’est-ce pas bien cela qu’exprime leur bizarre poésie de sons qui, tout en ayant l’air inintelligible, essaie de chanter en effet la gamme entière des sensations et de noter par les voisinages des mots, bien plus que par leur accord rationnel et leur signification connue, d’intraduisibles sens, qui sont obscurs pour nous, et clairs pour eux ?

Car les artistes sont à bout de ressources, à court d’inédit, d’inconnu, d’émotion, d’images, de tout. On a cueilli depuis l’antiquité toutes les fleurs de leur champ. Et voilà que, dans leur impuissance, ils sentent confusément qu’il pourrait y avoir peut-être pour l’homme un élargissement de l’âme et de la sensation. Mais l’intelligence a cinq barrières entr’ouvertes et cadenassées qu’on appelle les cinq sens, et ce sont ces cinq barrières que les hommes épris d’art nouveau secouent aujourd’hui de toute leur force.

L’Intelligence, aveugle et laborieuse Inconnue, ne peut rien savoir, rien comprendre, rien découvrir que par les sens. Ils sont ses uniques pourvoyeurs, les seuls intermédiaires entre l’Univer-