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min des autres années, en dépit des ingénieurs. Cette route de Tunis à Kairouan est stupéfiante à voir. Loin d’aider au passage des gens et des voitures, elle le rend impossible, crée des dangers sans nombre. On a détruit le vieux chemin arabe qui était bon, et on l’a remplacé par une série de fondrières, d’arches démolies, d’ornières et de trous. Tout est à refaire avant d’avoir fini. On recommence à chaque pluie les travaux, sans vouloir avouer, sans consentir à comprendre qu’il faudra toujours recommencer ce chapelet de ponts croulants. Celui d’Enfidaville a été reconstruit deux fois. Il vient encore d’être emporté. Celui d’Oued-el-Hammam est détruit pour la quatrième fois. Ce sont des ponts nageurs, des ponts plongeurs, des ponts culbuteurs. Seuls les vieux ponts arabes résistent à tout.

On commence par se fâcher, car la voiture doit descendre en des ravins presque infranchissables où dix fois par heure on croit verser, puis on finit par en rire comme d’une incroyable cocasserie. Pour éviter ces ponts redoutables, il faut faire d’immenses détours, aller au nord, revenir au sud, tourner à l’est, repasser à l’ouest. Les pauvres indigènes ont dû, à coups de pioche, à coups de hache, à coups de serpe, se