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grandes herbes onduleuses qui remuent, flottent, semblent nager dans le courant qui les agite.

Puis l’Anapo se sépare de l’antique Cyané, son tributaire. Nous allons toujours à coups de perche entre les berges. Le ruisseau serpente avec de charmants points de vue de perspectives fleuries et coquettes. Une île apparaît enfin, pleine d’arbustes étranges. Les tiges frêles et triangulaires, hautes de neuf à douze pieds, portent à leur sommet des touffes rondes de fils verts, longs, minces et souples comme des cheveux. On dirait des têtes humaines devenues plantes, jetées dans l’eau sacrée de la source par un des dieux païens qui vivaient là jadis. C’est le papyrus antique.

Les paysans, d’ailleurs, appellent ce roseau : parruca.

En voici d’autres plus loin, un bois entier. Ils frémissent, murmurent, se penchent, mêlent leurs fronts poilus, les heurtent, semblent parler de choses inconnues et lointaines.

N’est-il pas étrange que l’arbuste vénérable qui nous apporta la pensée des morts, qui fut le gardien du génie humain, ait, sur son corps infime d’arbrisseau, une grosse crinière épaisse et flottante, ainsi que celle des poètes ?