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de n’importe qui, d’un notaire, d’un domestique… ou même de votre mari… Je ne veux pas…

Elle se leva, hésitant encore et répétant :

— Non, c’est trop dur, c’est trop cruel. Il me semble que vous allez me faire brûler nos deux cœurs.

Il suppliait, le visage décomposé par l’angoisse.

Le voyant souffrir ainsi, elle se résigna, et marcha vers le meuble. En ouvrant le tiroir, elle l’aperçut plein jusqu’aux bords d’une couche épaisse de lettres entassées les unes sur les autres ; et elle reconnut sur toutes les enveloppes les deux lignes de l’adresse qu’elle avait si souvent écrites. Elle les savait, ces deux lignes — un nom d’homme, un nom de rue — autant que son propre nom, autant qu’on peut savoir les quelques mots qui vous ont représenté dans la vie toute l’espérance et tout le bonheur. Elle regardait cela, ces petites choses carrées qui contenaient tout ce qu’elle avait su dire de son amour, tout ce qu’elle avait pu en arracher d’elle pour le lui donner, avec un peu d’encre, sur du papier blanc.

Il avait essayé de tourner sa tête sur l’oreiller afin de la regarder, et il dit encore une fois :

— Brûlez-les bien vite.

Alors, elle en prit deux poignées et les garda quelques instants dans ses mains. Cela lui semblait lourd, douloureux, vivant et mort, tant il y