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que prend, en vieillissant, ce besoin d’adorer. Donc il aimait cette petite fille ! Il n’y avait plus à lutter, à résister, à nier, il l’aimait avec le désespoir de savoir qu’il n’aurait même pas d’elle un peu de pitié, qu’elle ignorerait toujours son atroce tourment, et qu’un autre l’épouserait. À cette pensée sans cesse reparue, impossible à chasser, il était saisi par une envie animale de hurler à la façon des chiens attachés, car il se sentait impuissant, asservi, enchaîné comme eux. De plus en plus nerveux, à mesure qu’il songeait, il allait toujours à grands pas à travers la vaste pièce éclairée comme pour une fête. Ne pouvant enfin tolérer davantage la douleur de cette plaie avivée, il voulut essayer de la calmer par le souvenir de son ancienne tendresse, de la noyer dans l’évocation de sa première et grande passion. Dans le placard où il la gardait, il alla prendre la copie qu’il avait faite autrefois pour lui du portrait de la comtesse, puis il la posa sur son chevalet, et, s’étant assis en face, la contempla. Il essayait de la revoir, de la retrouver vivante, telle qu’il l’avait aimée jadis. Mais c’était toujours Annette qui surgissait sur la toile. La mère avait disparu, s’était évanouie laissant à sa place cette autre figure qui lui ressemblait étrangement. C’était la petite avec ses cheveux un peu plus clairs, son sourire un peu plus gamin, son air un peu plus moqueur, et il sentait