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— Any est stupide de m’avoir dit ça. Elle va me faire penser à la petite à présent.

Il rentra chez lui, inquiet sur lui-même. Quand il se fut mis au lit, il sentit que le sommeil ne viendrait point, car une fièvre courait en ses veines, une sève de rêve fermentait en son cœur. Redoutant l’insomnie, une de ces insomnies énervantes que provoque l’agitation de l’âme, il voulut essayer de prendre un livre. Combien de fois une courte lecture lui avait servi de narcotique ! Il se leva donc et passa dans sa bibliothèque, afin de choisir un ouvrage bien fait et soporifique ; mais son esprit éveillé malgré lui, avide d’une émotion quelconque cherchait sur les rayons un nom d’écrivain qui répondît à son état d’exaltation et d’attente. Balzac, qu’il adorait, ne lui dit rien ; il dédaigna Hugo, méprisa Lamartine qui pourtant le laissait toujours attendri et il tomba avidement sur Musset, le poète des tout jeunes gens. Il en prit un volume et l’emporta pour lire au hasard des feuilles.

Quand il se fut recouché, il se mit à boire, avec une soif d’ivrogne, ces vers faciles d’inspiré qui chanta, comme un oiseau, l’aurore de l’existence et, n’ayant d’haleine que pour le matin, se tut devant le jour brutal, ces vers d’un poète qui fut surtout un homme enivré de la vie, lâchant son ivresse en fanfares d’amours éclatantes et naïves,