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irrésistible, de partir tout de suite, par le premier train, de quitter ce pays clair où l’on voyait trop dans le grand jour des champs, les ineffaçables fatigues du chagrin et de la vie. À Paris, on vit dans la demi-ombre des appartements, où les rideaux lourds, même en plein midi, ne laissent entrer qu’une lumière douce. Elle y redeviendrait elle-même, belle, avec la pâleur qu’il faut dans cette lueur éteinte et discrète. Alors le visage d’Annette lui passa devant les yeux, rouge, un peu dépeigné, si frais, quand elle jouait au lawn-tennis. Elle comprit l’inquiétude inconnue dont avait souffert son âme. Elle n’était point jalouse de la beauté de sa fille ! Non, certes, mais elle sentait, elle s’avouait pour la première fois qu’il ne fallait plus jamais se montrer près d’elle, en plein soleil.

Elle sonna, et, avant de boire son thé, elle donna des ordres pour le départ, écrivit des dépêches, commanda même par le télégraphe son dîner du soir, arrêta ses comptes de campagne, distribua ses instructions dernières, régla tout en moins d’une heure, en proie à une impatience fébrile et grandissante.

Quand elle descendit, Annette et Olivier, prévenus de cette décision, l’interrogèrent avec surprise. Puis, voyant qu’elle ne donnait, pour ce brusque départ, aucune raison précise, ils grognèrent un peu et montrèrent leur mécontentement