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les hommes et les femmes que la vie blesse un peu et dont les cœurs se mêlent en confondant leurs peines.

Annette, qui n’était point mûre pour ces pensées, s’éloignait à chaque instant afin de cueillir des fleurs champêtres au bord du chemin.

Mais Olivier, pris d’un désir de la garder près de lui, énervé de la voir sans cesse repartir, ne la quittait point de l’œil. Il s’irritait qu’elle s’intéressât aux couleurs des plantes plus qu’aux phrases qu’il prononçait. Il éprouvait un malaise inexprimable de ne pas la captiver, la dominer comme sa mère, et une envie d’étendre la main, de la saisir, de la retenir, de lui défendre de s’en aller. Il la sentait trop alerte, trop jeune, trop indifférente, trop libre, libre comme un oiseau, comme un jeune chien qui n’obéit pas, qui ne revient point, qui a dans les veines l’indépendance, ce joli instinct de liberté que la voix et le fouet n’ont pas encore vaincu.

Pour l’attirer, il parla de choses plus gaies, et parfois il l’interrogeait, cherchait à éveiller un désir d’écouter et sa curiosité de femme ; mais on eût dit que le vent capricieux du grand ciel soufflait dans la tête d’Annette ce jour-là, comme sur les épis ondoyants, emportait et dispersait son attention dans l’espace, car elle avait à peine répondu le mot banal attendu d’elle, jeté entre deux fuites