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La comtesse se leva, prépara la boisson chaude avec les précautions et les soins que nous ont apportés les Russes, puis offrit une tasse à Musadieu, une autre à Bertin, et revint avec des assiettes contenant des sandwichs aux foies gras et de menues pâtisseries autrichiennes et anglaises.

Le comte s’étant approché de la table mobile où s’alignaient aussi des sirops, des liqueurs et des verres, fit un grog, puis, discrètement, glissa dans la pièce voisine et disparut.

Bertin, de nouveau, se trouva seul en face de Musadieu, et le désir soudain le reprit de pousser dehors ce gêneur qui, mis en verve, pérorait, semait des anecdotes, répétait des mots, en faisait lui-même. Et le peintre, sans cesse, consultait la pendule dont la longue aiguille approchait de minuit. La comtesse vit son regard, comprit qu’il cherchait à lui parler, et, avec cette adresse des femmes du monde habiles à changer par des nuances le ton d’une causerie et l’atmosphère d’un salon, à faire comprendre, sans rien dire, qu’on doit rester ou qu’on doit partir, elle répandit, par sa seule attitude, par l’air de son visage et l’ennui de ses yeux, du froid autour d’elle, comme si elle venait d’ouvrir une fenêtre.

Musadieu sentit ce courant d’air glaçant ses idées, et, sans qu’il se demandât pourquoi, l’envie se fit en lui de se lever et de s’en aller.