Page:Maupassant - Clair de lune, OC, Conard, 1909.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
258
LE BÛCHER.

nos mœurs, et, comme la nuit s’avançait, chacun rentra chez soi.

À minuit, l’employé du gaz, courant de rue en rue, éteignait, l’une après l’autre, les flammes jaunes qui éclairaient les maisons endormies, la boue et les flaques d’eau. Nous attendions, guettant l’heure où la petite ville serait muette et déserte.

Depuis midi, un menuisier coupait du bois en se demandant avec stupeur ce qu’on allait faire de toutes ces planches sciées par petits bouts, et pourquoi perdre tant de bonne marchandise. Ce bois fut entassé dans une charrette qui s’en alla, par des rues détournées jusqu’à la plage, sans éveiller les soupçons des attardés qui la rencontraient. Elle s’avança sur le galet, au pied même de la falaise, et ayant versé son chargement à terre, les trois serviteurs indiens commencèrent à construire un bûcher un peu plus long que large. Ils travaillaient seuls, car aucune main profane ne devait aider à cette besogne sainte.

Il était une heure du matin quand on annonça aux parents du mort qu’ils pouvaient accomplir leur œuvre.

La porte de la petite maison qu’ils occupaient fut ouverte ; et nous aperçûmes, couché sur une civière, dans le vestibule étroit,