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EN VOYAGE.

déchirée jusqu’au cœur, à la pensée de cette agonie d’un enfant pendu aux mains de son frère, de l’interminable lutte de ces gamins accoutumés seulement à rire et à jouer et de ce tout simple détail : la montre donnée.

Et je me disais : « Que le Hasard me préserve de jamais recevoir une semblable relique ! » Je ne sais rien de plus épouvantable que ce souvenir attaché à l’objet familier qu’on ne peut quitter. Songez que chaque fois qu’il touchera cette montre sacrée, le survivant reverra l’horrible scène, la mare, le mur, l’eau calme, et la face décomposée de son frère vivant et aussi perdu que s’il était mort déjà. Et durant toute sa vie, à toute heure, la vision sera là, réveillée dès que du bout du doigt il touchera seulement son gousset.

Et je fus triste jusqu’au soir. Je quittai, montant toujours, la région des orangers pour la région des seuls oliviers, et celle des oliviers pour la région des pins ; puis je passai dans une vallée de pierres, puis j’atteignis les ruines d’un antique château, bâti, affirme-t-on, au Xe siècle, par un chef sarrasin, homme sage, qui se fit baptiser par amour d’une jeune fille.

Partout des montagnes autour de moi, et, devant moi, la mer, la mer avec une tache