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EN VOYAGE.

en temps, des lettres où je ne parlerai ni de vous ni de moi, mais seulement de l’horizon, et des hommes qui s’y meuvent. Et je commence.


Le printemps est une époque où il faut, me semble-t-il, boire et manger du paysage. C’est la saison des frissons, comme l’automne est la saison des pensées. Au printemps la campagne émeut la chair, à l’automne elle pénètre l’esprit.

J’ai voulu, cette année, respirer de la fleur d’oranger et je suis parti pour le Midi, à l’heure où tout le monde en revient. J’ai franchi Monaco, la ville des pèlerins, rivale de la Mecque et de Jérusalem, sans laisser d’or dans la poche d’autrui ; et j’ai gravi la haute montagne sous un plafond de citronniers, d’orangers et d’oliviers.

Avez-vous jamais dormi, mon amie, dans un champ d’orangers fleuris ? L’air qu’on respire délicieusement est une quintessence de parfums. Cette senteur violente et douce, savoureuse comme une friandise, semble se mêler à nous, nous imprègne, nous enivre, nous alanguit, nous verse une torpeur somnolente et rêvante. On dirait un opium préparé par la main des fées et non par celle des pharmaciens.