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on a cherché bien des raisons à cette exclusion qui paraît systématique depuis plusieurs années.

En principe, je ne vois aucun mal à ce que les hommes de lettres ne soient pas décorés, par ce simple motif qu’un ministre n’est en aucune façon compétent pour apprécier leurs mérites. Nous en avons un exemple sous les yeux. Voici M. Duvaux, qui fut professeur de troisième, et dont l’autorité est incontestable quand il s’agit de barbarismes ou de solécismes dans un thème latin, mais dont l’incompétence devient flagrante s’il s’agit de juger la valeur d’hommes comme MM. Leconte de Lisle, Banville, Barbey d’Aurevilly, Zola, Armand Silvestre, Catulle Mendès, Léon Cladel, Jean Richepin, Daudet, etc.

On aurait haussé les épaules de pitié devant la prétention d’un élève de M. Duvaux qui aurait voulu apprécier la capacité de son professeur ; mais la distance est infiniment plus grande entre les maîtres de l’art français et cet ancien maître de latin, qu’entre lui et ses écoliers.

J’ai entendu dire bien des choses sur cette question de décoration. Des hommes — et ils sont nombreux — soutiennent cette thèse : on ne décore que ceux qui peuvent donner quelque chose ; on décore les peintres qui peuvent donner des tableaux, les sculpteurs qui peuvent donner des statuettes, les collectionneurs qui peuvent donner des bibelots, les cha-