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est difficile quelquefois de trouver des choses à dire. Et puis, je sentais du nouveau dans l’air, je sentais de l’invisible, un je ne sais quoi impossible à exprimer, cet avertissement mystérieux qui vous prévient des intentions secrètes, bonnes ou mauvaises, d’une autre personne à votre égard.

Ce pénible silence dura quelque temps. Puis Berthe me dit : « Mettez donc une bûche au feu, mon ami, vous voyez bien qu’il va s’éteindre. » J’ouvris le coffre à bois, placé juste comme le vôtre, et je pris une bûche, la plus grosse bûche, que je plaçai en pyramide sur les autres morceaux aux trois quarts consumés.

Et le silence recommença.

Au bout de quelques minutes, la bûche flambait de telle façon qu’elle nous grillait la figure. La jeune femme releva sur moi ses yeux, des yeux qui me parurent étranges. « Il fait trop chaud, maintenant, dit-elle ; allons donc là-bas, sur le canapé. » Et nous voilà partis sur le canapé.

Puis tout à coup, me regardant bien en face : « Qu’est-ce que vous feriez si une femme vous disait qu’elle vous aime ? »

Je répondis, fort interloqué : « Ma foi, le cas n’est pas prévu, et puis, ça dépendrait de la femme. »

Alors, elle se mit à rire, d’un rire sec, nerveux, frémissant, un de ces rires faux qui semblent devoir casser les verres fins, et elle ajouta :

« Les hommes ne sont jamais audacieux ni malins. »

Elle se tut, puis reprit :

« Avez-vous quelquefois été amoureux, monsieur Paul ? »