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— Me v’là, not’ maître.

Dès qu’elle fut en face de lui, les mains rouges et abandonnées, l’œil troublé, il déclara :

— Écoute un peu, qu’il n’y ait pas d’erreur entre nous. T’es ma servante, mais rien de plus. T’entends. Nous ne mêlerons point nos sabots.

— Oui, not’ maître.

— Chacun sa place, ma fille, t’as ta cuisine ; j’ai ma salle. À part ça, tout sera pour té comme pour mé. C’est convenu ?

— Oui, not’ maître.

— Allons, c’est bien, va à ton ouvrage.

Et elle alla reprendre sa besogne.

À midi elle servit le dîner du maître dans sa petite salle à papier peint, puis, quand la soupe fut sur la table, elle alla prévenir M. Omont.

— C’est servi, not’ maître.

Il entra, s’assit, regarda autour de lui, déplia sa serviette, hésita une seconde, puis, d’une voix de tonnerre :

— Adélaïde !

Elle arriva, effarée. Il cria comme s’il allait la massacrer.

— Eh bien, nom de D… et té, ousqu’est ta place ?

— Mais… not’maître…

Il hurlait :

— J’aime pas manger tout seul, nom de D… ; tu vas te mett’ là ou bien foutre le camp si tu n’veux pas. Va chercher t’n assiette et ton verre. »

Épouvantée, elle apporta son couvert en balbutiant :

— Me v’là, not’ maître.