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On faisait halte de temps en temps. Alors on n’entendait plus que cet innommable froissement de la neige qui tombe, plutôt sensation que bruit, murmure sinistre et vague. Un ordre se communiquait à voix basse, et, quand la troupe se remettait en route, elle laissait derrière elle une espèce de fantôme blanc debout dans la neige. Il s’effaçait peu à peu et finissait par disparaître. C’étaient les échelons vivants qui devaient guider l’armée.

Les éclaireurs ralentirent leur marche. Quelque chose se dressait devant eux.

— Prenez à droite, dit le lieutenant, c’est le bois de Ronfi ; le château se trouve plus à gauche.

Bientôt le mot : « Halte ! » circula. Le détachement s’arrêta et attendit le lieutenant qui, accompagné de dix hommes seulement, poussait une reconnaissance jusqu’au château.

Ils avançaient, rampant sous les arbres. Soudain tous demeurèrent immobiles. Un calme effrayant plana sur eux. Puis tout près, une petite voix claire, musicale et jeune traversa le silence du bois. Elle disait :

— Père, nous allons nous perdre dans la neige. Nous n’arriverons jamais à Blainville.

Une voix plus forte répondit :

— Ne crains rien, fillette, je connais le pays comme ma poche.