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concernait. La voici : « À mon neveu Pierre, je laisse un manuscrit de quelques feuillets qu’on trouvera dans le tiroir gauche de mon secrétaire ; plus 500 francs pour acheter son fusil de chasse, et 100 francs qu’il voudra bien remettre de ma part au premier marchand de coco qu’il rencontrera !… »

Ce fut une stupéfaction générale. Le manuscrit qui me fut remis m’expliqua ce legs surprenant.

Je le copie textuellement :

« L’homme a toujours vécu sous le joug des superstitions. On croyait autrefois qu’une étoile s’allumait en même temps que naissait un enfant ; qu’elle suivait les vicissitudes de sa vie, marquant les bonheurs par son éclat, les misères par son obscurcissement. On croit à l’influence des comètes, des années bissextiles, des vendredis, du nombre treize. On s’imagine que certaines gens jettent des sorts, le mauvais œil. On dit : « Sa rencontre m’a toujours porté malheur. » Tout cela est vrai. J’y crois. — Je m’explique : je ne crois pas à l’influence occulte des choses ou des êtres ; mais je crois au hasard bien ordonné. Il est certain que le hasard a fait s’accomplir des événements importants pendant que des comètes visitaient notre ciel ; qu’il en a placé dans les années bissextiles ; que certains malheurs remarqués sont tombés le vendredi, ou bien ont coïncidé avec le nombre treize ; que