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avait poudré ses cheveux, ce qui la rendait charmante. Elle avait l’air, de loin, d’une vieille, de près d’une jeune, et, quand on la regardait bien, d’un joli piège pour les yeux.

— Vous êtes en deuil ? demanda Madeleine.

Elle répondit tristement :

— Oui et non. Je n’ai perdu personne des miens. Mais je suis arrivée à l’âge où on fait le deuil de sa vie. Je le porte aujourd’hui, pour l’inaugurer. Désormais je le porterai dans mon cœur.

Du Roy pensa : « Ça tiendra-t-il, cette résolution-là ? »

Le dîner fut un peu morne. Seule Suzanne bavardait sans cesse. Rose semblait préoccupée. On félicita beaucoup le journaliste.

Le soir on s’en alla, errant et causant, par les salons et par la serre. Comme Du Roy marchait derrière, avec la Patronne, elle le retint par le bras.

— Écoutez, dit-elle à voix basse… Je ne vous parlerai plus de rien, jamais. Mais venez me voir, Georges. Vous voyez que je ne vous tutoie plus. Il m’est impossible de vivre sans vous, impossible. C’est une torture inimaginable. Je vous sens, je vous garde dans mes yeux, dans mon cœur et dans ma chair tout le jour et toute la nuit. C’est comme si vous