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teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur savante et méchante ! Elle m’a pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant qu’une âme désespérée qu’elle enlèvera bientôt aussi.

Oui, elle m’a émietté, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon être, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas m’approche d’elle, chaque mouvement, chaque souffle hâte son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rêver, tout ce que nous faisons, c’est mourir. Vivre enfin, c’est mourir !

Oh ! vous saurez cela ! Si vous réfléchissiez seulement un quart d’heure, vous la verriez.

Qu’attendez-vous ? De l’amour ? Encore quelques baisers, et vous serez impuissant.

Et puis, après ? De l’argent ? Pourquoi faire ? Pour payer des femmes ? Joli bonheur ! Pour manger beaucoup, devenir obèse et crier des nuits entières sous les morsures de la goutte ?

Et puis encore ? De la gloire ? À quoi cela sert-il quand on ne peut plus la cueillir sous forme d’amour ?

Et puis, après ? Toujours la mort pour finir.