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lit à la fenêtre : « C’est la fortune qui arrive ! c’est la fortune ! Il faudra que j’écrive à papa. »

De temps en temps il lui écrivait, à son père ; et la lettre apportait toujours une joie vive dans le petit cabaret normand, au bord de la route, au haut de la grande côte d’où l’on domine Rouen et la large vallée de la Seine.

De temps en temps aussi il recevait une enveloppe bleue dont l’adresse était tracée d’une grosse écriture tremblée, et il lisait infailliblement les mêmes lignes au début de la lettre paternelle :

« Mon cher fils, la présente est pour te dire que nous allons bien, ta mère et moi. Pas grand’chose de nouveau dans le pays. Je t’apprendrai cependant… »

Et il gardait au cœur un intérêt pour les choses du village, pour les nouvelles des voisins et pour l’état des terres et des récoltes.

Il se répétait, en nouant sa cravate blanche devant sa petite glace : « Il faut que j’écrive à papa dès demain. S’il me voyait, ce soir, dans la maison où je vais, serait-il épaté, le vieux ! Sacristi, je ferai tout à l’heure un dîner comme il n’en a jamais fait. » Et il revit brusquement la cuisine noire de là-bas, derrière la salle du café vide, les casseroles jetant des