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change de restaurant, s’apercevant à peine que la cuisine n’avait pas tout à fait le même goût. Les opinions politiques et religieuses lui demeuraient étrangères. Il était dévoué au journal quel qu’il fût, entendu dans la besogne, et précieux par son expérience. Il travaillait comme un aveugle qui ne voit rien, comme un sourd qui n’entend rien, et comme un muet qui ne parle jamais de rien. Il avait cependant une grande loyauté professionnelle, et ne se fût point prêté à une chose qu’il n’aurait pas jugée honnête, loyale et correcte au point de vue spécial de son métier.

M. Walter, qui l’appréciait cependant, avait souvent désiré un autre homme pour lui confier les Échos, qui sont, disait-il, la moelle du journal. C’est par eux qu’on lance les nouvelles, qu’on fait courir les bruits, qu’on agit sur le public et sur la rente. Entre deux soirées mondaines, il faut savoir glisser, sans avoir l’air de rien, la chose importante, plutôt insinuée que dite. Il faut, par des sous-entendus, laisser deviner ce qu’on veut, démentir de telle sorte que la rumeur s’affirme, ou affirmer de telle manière que personne ne croie au fait annoncé. Il faut que, dans les échos, chacun trouve, chaque jour, une ligne au moins qui l’intéresse, afin que tout le monde les lise. Il faut penser à tout et