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compagnons tranquilles, réfléchis, ne parlant guère que des plats servis (ce qui centuple la sensation), et connaisseurs experts, subtils.

Tous les hommes de lettres sont gourmands. Le grand Gautier, dans les entretiens que nous a racontés son gendre, Émile Bergerat, exhale sa haine contre le pain et le potage, et disserte sur le goût, en maître écrivain et en maître mangeur. Il s’écrie :

« Oui, j’ai rêvé d’expliquer cela, le goût, et de décrire les sensations diverses que produit le passage d’un mets sur les papilles de la langue. Je crois qu’il n’y a que moi au monde capable d’exécuter un pareil tour de force… Le pain est une invention occidentale bête et dangereuse ; il a été imaginé par les bourgeois avares et leur a valu des révolutions !… Supprimez le pain, la moutarde s’évanouit, et l’homme reste seul devant la nature : sa langue nette et épurée s’épanouit et se dilate