Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/63

Cette page n’a pas encore été corrigée

porte. J'étais plus mort que vif, Monsieur. Mais comme il allait pénétrer dans ma chambre, je lui sautai presque au collet :

"Non, pas par là, mon oncle ; par ici par ici."

Et je le fis entrer dans la salle à manger. Voyez-vous ma situation ? que faire ?... Il me dit :

"Et ton frère ? il dort ? Va donc l'éveiller."

Je balbutiai :

"Non, mon oncle, il a été obligé de passer la nuit au magasin pour une commande urgente."

Mon oncle se frotta les mains :

"Alors, ça va, la besogne ?"

Mais une idée me venait.

"Vous devez avoir faim, mon oncle, après ce voyage ?

- Ma foi ! c'est vrai, je casserais bien une petite croûte."

Je me précipite sur l'armoire (j'avais les restes du dîner), et c'était une rude fourchette que mon oncle, un vrai curé normand capable de manger douze heures de suite. Je sors un morceau de bœuf pour faire durer le temps, car je savais bien qu'il ne l'aimait pas ; puis lorsqu'il en eut suffisamment mangé, j'apportai les restes d'un poulet, un pâté presque tout entier, une salade de pommes de terre, trois pots de crème, et du vin fin que j'avais mis de côté pour le lendemain. Ah ! Monsieur, il faillit tomber à la renverse :

"Nom d'un petit bonhomme ! Quel garde-manger !..."

Et je le bourre, Monsieur, je le bourre ! Il ne résistait pas, d'ailleurs (on disait dans le pays, qu'il aurait avalé un troupeau de bœufs.)

Lorsqu'il eut tout dévoré, il était cinq heures du matin ! Je me sentais sur des charbons ardents. Je