Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/39

Cette page n’a pas encore été corrigée

de pêcheurs se tassa sur le toit, et comme ils tenaient leurs lignes à la main, la guimbarde prit tout à coup l'aspect d'un gros porc-épic.

Tout le long de la route on voyait des hommes se diriger dans le même sens, comme pour un immense pèlerinage vers une Jérusalem inconnue. Ils portaient leurs longs bâtons effilés, rappelant ceux des anciens fidèles revenus de Palestine, et une boîte en fer-blanc leur battait le dos. Ils se hâtaient.

A Bezons, le fleuve apparut. Sur ses deux bords, une file de personnes, des hommes en redingote, d'autres en coutil, d'autres en blouse, des femmes, des enfants, même des jeunes filles prêtes à marier, pêchaient.

Patissot se rendit au barrage, où son ami Boivin l'attendait. L'accueil de ce dernier fut froid. Il venait de faire connaissance avec un gros monsieur de cinquante ans environ, qui paraissait très fort, et dont la figure était brûlée du soleil. Tous les trois ayant loué un grand bateau, allèrent s'accrocher presque sous la chute du barrage, dans les remous où l'on prend le plus de poisson.

Boivin fut tout de suite prêt, et ayant amorcé sa ligne il la lança, puis il demeura immobile, fixant le petit flotteur avec une attention extraordinaire. Mais de temps en temps il retirait son fil de l'eau pour le jeter un peu plus loin. Le gros monsieur, quant il eut envoyé dans la rivière ses hameçons bien appâtés, posa la ligne à son côté, bourra sa pipe, l'alluma, se croisa les bras, et, sans un coup d'oeil au bouchon, il regarda l'eau couler. Patissot recommença à crever des asticots. Au bout de cinq minutes, il interpella Boivin : "Monsieur Boivin, vous seriez bien aimable de mettre ces bêtes à mon hameçon. J'ai beau essayer, je n'arrive pas."