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à sangler ses guêtres dont il n'avait point l'habitude. Après avoir chargé sur le dos son sac bourré de viande, de fromages et de bouteilles de vin (car l'exercice assurément lui creuserait l'estomac), il partit, sa canne à la main.

Il prit un pas de marche bien rythmé (celui des chasseurs, pensait-il), en sifflotant des airs gaillards qui rendaient plus légère son allure. Des gens se retournaient pour le voir, un chien jappa ; un cocher, en passant, lui cria : "Bon voyage, monsieur Dumolet !" Mais lui s'en fichait carrément, et il allait sans se retourner, toujours plus vite, faisant, d'un air crâne, le moulinet avec sa canne.

La ville s'éveillait joyeuse, dans la chaleur et la lumière d'une belle journée de printemps. Les façades des maisons luisaient, les serins chantaient dans leurs cages, et une gaieté courait les rues, éclairait les visages, mettait un rire partout, comme un contentement des choses sous le clair soleil levant.

Il gagnait la Seine pour prendre l'Hirondelle qui le déposerait à Saint-Cloud et, au milieu de l'ahurissement des passants, il suivit la rue de la Chaussée-d'Antin, le boulevard, la rue Royale, se comparant mentalement au Juif Errant. En remontant sur le trottoir, les armatures ferrées de ses chaussures encore une fois glissèrent sur le granit, et lourdement, il s'abattit, avec un bruit terrible dans son sac. Des passants le relevèrent, et il se remit en marche plus doucement, jusqu'à la Seine où il attendit une Hirondelle.

Là-bas, très loin, sous les ponts, il la vit apparaître, toute petite d'abord, puis plus grosse, grandissant toujours, et elle prenait en son esprit des allures de paquebot, comme s'il allait partir pour un long voyage, passer les mers, voir des peuples nouveaux et des