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ŒUVRES POSTHUMES.

tures, du monde du théâtre ou de la rue, mais une femme qu’il avait aimée et conquise. Il n’était plus un jeune homme, bien qu’il fut encore un homme jeune, et il regardait la vie sérieusement, en esprit positif et pratique.

Donc il se mit à faire le bilan de sa passion comme il faisait, chaque année, la balance des amitiés disparues ou nouvelles, des faits et des gens entrés dans son existence.

Sa première ardeur d’amour s’étant calmée, il se demanda, avec une précision de commerçant qui compte, quel était l’état de son cœur pour elle, et il tâcha de deviner ce qu’il serait dans l’avenir.

Il y trouva une grande et profonde affection, faite de tendresse, de reconnaissance et des mille attaches menues d’où naissent les longues et fortes liaisons.

Un coup de sonnette le fit sauter. Il hésita. Ouvrirait-il ? Mais il se dit qu’il faut toujours ouvrir, en cette nuit du nouvel an, ouvrir à l’Inconnu qui passe et frappe, quel qu’il soit.

Il prit donc une bougie, traversa l’antichambre, ôta les verrous, tourna la clef, attira la porte à lui et aperçut sa maîtresse, debout, pâle comme une morte, les mains appuyées au mur.

Il balbutia :

— Qu’avez-vous ?

Elle répondit :

— Tu es seul ?

— Oui.

— Sans domestiques.

— Oui.

— Tu n’allais pas sortir ?

— Non.

Elle entra, en femme qui connaît la maison. Dès qu’elle fut dans le salon, elle s’affaissa sur le divan, et