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ŒUVRES POSTHUMES.

— Celle de demeurer tranquille, convenable et discret si je vous permets…

— Quoi ? dites.

— Voilà. Je voudrais rester couchée sur le dos, au fond de la barque, à côté de vous, en regardant les étoiles.

Je m’écriai :

— J’en suis.

Elle reprit :

— Vous ne me comprenez pas. Nous allons nous étendre côte à côte. Mais je vous défends de me toucher, de m’embrasser, enfin de… de… me… caresser.

Je promis. Elle annonça :

— Si vous remuez, je chavire.

Et nous voici couchés côte à côte, les yeux au ciel, au fil de l’eau. Les vagues mouvements du canot nous berçaient. Les légers bruits de la nuit nous arrivaient maintenant plus distincts dans le fond de l’embarcation, nous faisaient parfois tressaillir. Et je sentais grandir en moi une étrange et poignante émotion, un attendrissement infini, quelque chose comme un besoin d’ouvrir mes bras pour étreindre et d’ouvrir mon cœur pour aimer, de me donner, de donner mes pensées, mon corps, ma vie, tout mon être à quelqu’un.

Ma compagne murmura, comme dans un songe :

— Où sommes-nous ? Où allons-nous ? Il me semble que je quitte la terre ? Comme c’est doux ! Oh ! si vous m’aimiez… un peu !!!

Mon cœur se mit à battre. Je ne pus rien répondre ; il me sembla que je l’aimais. Je n’avais plus aucun désir violent. J’étais bien ainsi, à côté d’elle, et cela me suffisait.

Et nous sommes restés longtemps, longtemps sans bouger. Nous nous étions pris la main ; une force délicieuse nous immobilisait : une force inconnue, supé-