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Le jour pâle
Commençait à tomber faiblement du ciel gris.
Un vent plus froid geignait avec le bruit d’un râle.
Le givre avait roidi les arbres rabougris
Qui semblaient morts. C’était partout la fin des choses.

Mais, comme on lève un voile, un nuage glissant
Fit pleuvoir sur la neige un flot de clartés roses.
Le ciel devenu pourpre éclaboussa de sang
Et le coteau désert au bout des plaines blanches,
Et la hutte du pâtre, et la glace des branches.
On eût dit qu’un grand meurtre emplissait l’horizon !
— Et le berger parut au seuil de sa maison. –
Il était rouge aussi, plus rouge que l’aurore !
Même, lorsque le ciel cramoisi fut lavé,
Quand tout redevint blanc sous le soleil levé,
Lui, hagard et debout, semblait plus rouge encore,
Comme s’il eût trempé son visage et sa main,
Avant que de sortir, dans un flot de carmin.
Il se pencha, prenant de la neige, et la trace
De ses doigts fit par terre un large trou sanglant.
S’étant agenouillé pour se laver la face,
Une eau rouge en coula, qu’il regardait, tremblant,
Avec des soubresauts de peur. – Puis il s’enfuit.

Il dévale du mont, roule dans les ornières,
Perce d’épais fourrés pareils à des crinières,
Et fait mille détours comme un loup qu’on poursuit !
Il s’arrête. – Son œil que la terreur dilate
Guette de tous côtés s’il est loin d’un hameau ;
Alors dans sa main creuse il fait fondre un peu d’eau,
Pour effacer encor quelque tache écarlate !