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116 REVUE D HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.

se tirer d’affaire qu’en leur controuvant des inventions basses et des motifs sans verlu... Si jamais de pareilles doctrines pouvoient germer parmi nous, la voix de la Nature, ainsi que celle de la raison, s’éleve- roient incessamment conlr’elles, et ne laisseroient jamais à un seul de leurs partisans l’excuse de l’être de bonne foi ».

De l’Esprit, 276-7 (III, iv) : « Je découvre facilement la source des vertus humaines : Je vois que sans la sensibilité à la douleur et au plaisir physique, les hommes, sans désirs, sans passions, également indifférents à tout, n’eussent point connu d’intérêt personnel; que sans intérêt personnel, ils ne se fussent point rassemblés en société, n’eussent point fait enlr’eux de convention, qu’il n’y eût point eu d’in- térêt général par conséquent point d’actions justes ou injustes; et qu’ainsi la sensibilité physique et T’intérêt personnel ont été les auteurs de toute justice. Cette vérité, appuyée sur cet axiome de jurispru- dence, Vintérêt est la mesure des actions des hommes, et confirmée d’ailleurs par mille faits, me prouve que, vertueux ou vicieux, selon, que nos passions ou nos goûts particuliers sont conformes ou contraires à l’intérêt général, nous tendons... nécessairement à notre bien parti- culier».

Emile, III, 112 : « Si, comme on n’en peut douter, l’homme est sociable par sa nature, ou du moins fait pour le devenir, il ne peut l’être que par d’autres sentimens innés, relatifs à son espace; car à ne considérer que le besoin physique., il doit certainement disperser les hommes au lieu de les rapprocher ».

De l’Esprit, 322-4 (III, iv) : « Supposons que le ciel anime tout-à- coup plusieurs hommes : leur première occupation sera de satisfaire leurs besoins... [De ces besoins sortira la société et tous ses organes; par exemple : « Le besoin de la faim, en leur découvrant l’art de l’agri- culture, leur enseignera bien-tôt après l’art de mesurer et de partager les terres », etc.]... De là naîtront, selon la forme différente des gou- vernements, des passions criminelles ou vertueuses; telles sont l’envie, l’avarice, l’orgueil, l’ambition, l’amour de la patrie, la passion de la gloire, la magnanimité, et même l’amour, qui, ne nous étant donné par la nature que comme un besoin, deviendra, en se confondant avec la vanité, une passion factice, qui ne sera, comme les autres, qu’iin développement de la sensibilité physique ».

Ainsi ce n’est pas seulement dans sa théorie de la connaissance que la Profession de foi s’oppose au livre De V Esprit. A tous les détours du chemin, dans la première partie, le Vicaire savoyard rencontre la pensée d’Helvelius. Cette seule constatation n’est pas déjà sans intérêt; elle permet de mieux expliquer l’invective célèbre : « Quoi! je puis observer, connoître les êtres et leurs rap- ports ; je puis sentir ce que c^est qu’ordre, beauté, vertu ; je puis con-