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PHILIPPE-AUBERT DE GASPÉ, PÈRE

— Tu sais ben que non, fit Larouche en lui ceinturant les reins d’un petit coup de fouet par façon de risée ; nous voici à la fin de mars, mon grain est tout battu, je m’en vais porter ma dîme au curé.

— Tu fais bien, mon homme, lui dit sa femme, qui était une bonne chrétienne : il faut rendre au bon Dieu ce qui nous vient de lui.

Larouche charge donc ses poches sur son traîneau, jette un charbon sur sa pipe, saute sur la charge, et s’en va tout joyeux.

Comme il passait un petit bois, il fit rencontre d’un voyageur qui sortait par un sentier de traverse. Cet étranger était un grand et bel homme d’une trentaine d’années. Une longue chevelure blonde lui flottait sur les épaules, ses beaux yeux bleus avaient une douceur angélique, et toute sa figure, sans être positivement triste, était d’une mélancolie empreinte de compassion. Il portait une longue robe bleue nouée avec une ceinture.

Larouche disait n’avoir jamais rien vu de si beau que cet étranger ; que la plus belle créature était laide en comparaison.

— Que la paix soit avec vous, mon frère, lui dit le voyageur.

— Je vous remercie toujours de votre souhait, reprit David ; une bonne parole n’écorche pas la bouche ; mais c’est pourtant ce qui presse le moins. Je suis en paix, Dieu merci, avec tout le monde : j’ai une excellente femme, de bons enfants, je fais un ménage d’ange, tous mes voisins m’aiment : je n’ai donc rien à désirer de ce côté-là.

— Je vous en félicite, dit le voyageur. Votre voiture, est bien chargée ; où allez-vous si matin ?