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PHILIPPE-AUBERT DE GASPÉ, PÈRE

— Mon cher petit enfant, dit mon défunt père, il m’est malaisé de répondre à ta question, car je ne sais trop qui je suis ce matin ; hier encore je me croyais un brave et honnête homme créant Dieu ; mais j’ai eu tant de traverses cette nuit, que je ne saurais assurer si c’est bien moi, François Dubé, qui suis ici présent en corps et en âme. Et puis il se mit à chanter, le cher homme :

Dansons à l’entour,
Toure-loure ;
Dansons à l’entour.

Il était encore à moitié ensorcelé. Si bien toujours, qu’à la fin il s’aperçut qu’il était couché de tout son long dans un fossé où il y avait heureusement plus de vase que d’eau, car sans cela, mon pauvre défunt père, qui est mort comme un saint, entouré de tous ses parents et amis, et muni de tous les sacrements de l’Église sans en manquer un, aurait trépassé sans confession, comme un orignal au fond des bois, sauf le respect que je lui dois et à vous, mes jeunes messieurs. Quand il se fut déhalé du fossé où il était serré comme dans une étoque, le premier objet qu’il vit fut son flacon sur la levée du fossé ; ça lui ranima un peu le courage. Il étendit la main pour prendre un coup ; mais bernique ! il était vide ! La sorcière avait tout bu.

Mon défunt père attela sa guevalle, qui n’avait eu connaissance de rien, à ce qu’il paraît, la pauvre bête ! et prit au plus vite le chemin de la maison : ce ne fut que quinze jours après, qu’il nous raconta son aventure.