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CONTEURS CANADIENS-FRANÇAIS

— Mon cher François, dit la Corriveau, fais-moi le plaisir de me mener danser avec mes amis de l’île d’Orléans.

— Ah ! satanée bigre de chienne ! cria mon défunt père (c’était le seul jurement dont il usait, le saint homme, et encore dans les grandes traverses).

— Satanée bigre de chienne, est-ce pour me remercier de mon “ déprofundi ” et de mes autres bonnes prières que tu veux me mener au sabbat ? Je pensais bien que tu en avais, au petit moins, pour trois à quatre mille ans dans le purgatoire pour tes fredaines. Tu n’avais tué que deux maris : c’était une misère ! Aussi ça me faisait encore de la peine, à moi qui ai toujours eu le cœur tendre pour la créature, et je me suis dit : Il faut lui donner un coup d’épaule : et c’est là ton remerciement, que tu veux monter sur les miennes, pour me traîner en enfer comme un héritique.

— Mon cher François, dit la Corriveau, mène-moi danser avec mes bons amis ; et elle cognait sa tête sur celle de mon défunt père, que le crâne lui résonnait comme une vessie sèche pleine de cailloux.

— Tu peux être sûre, dit mon défunt père, satanée bigre de fille de Judas l’Escariot, que je vais te servir de bête de somme pour te mener danser au sabbat avec tes jolis mignons d’amis !

— Mon cher François, répondit la sorcière, il m’est impossible de passer le Saint-Laurent, qui est un fleuve bénit, sans le secours d’un chrétien.

— Passe comme tu pourras, satanée pendue, que lui dit mon défunt père ; passe comme tu pourras : chacun son affaire. Oh ! oui, compte que je t’y mènerai danser avec