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ALPHONSE POITRAS

de réponse, pas plus de regards qu’auparavant. Je ne suis ni peureux, ni superstitieux ; d’ailleurs, j’avais déjà eu des aventures de cette nature dans le nord ; eh bien ! n’eût été la honte de reparaître devant mes compagnons sans feu, eux qui avaient vu et qui voyaient encore la petite fenêtre éclairée, je crois que j’aurais gagné la porte et que je me serais enfui à toutes jambes, tant étaient effrayantes l’immobilité et la fixité des regards de ces deux êtres. Je rassemble, en tremblant, le peu de force et de courage qui me restaient, je m’avance vers la cheminée, je saisis un tison par le bout éteint et je passe la porte. Chaque pas qui m’éloignait de cette maudite cabane me semblait un poids de moins sur le cœur. Je saute dans mon canot avec mon tison et le passe à mes compagnons, sans souffler mot de ce qui venait de m’arriver : on eût ri de moi. Chose étrange ! le feu ne brûlait pas plus leur tabac que si c’eût été un glaçon. — Nom de Dieu ! dit l’un d’eux, que signifie cela ? ce feu-là ne brûle pas. J’allais leur raconter ma silencieuse réception à la cabane, sans craindre de trop faire rire de moi, puisque le feu que j’en rapportais ne brûlait pas, du moins le tabac, lorsque tout à coup la petite lumière de la cabane éclate comme un incendie immense, disparaît avec la rapidité d’un éclair et nous laisse dans la plus profonde obscurité. Au même instant, on entend des cris de chats épouvantables ; deux énormes matoux, aux yeux brillants comme des escarboucles, se jettent à la nage, grimpent sur le canot, et cela toujours avec les miaulements les plus effrayants. Une idée lumineuse me traverse la tête : — Jette-leur le tison, criai-je à celui qui le tenait ; ce qu’il fait aussitôt. Les cris cessent, les deux chats sautent sur le tison et s’enfuient vers la cabane où la petite lumière avait reparu. »