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PHILIPPE-AUBERT DE GASPÉ, FILS

— Oh ! oui… je l’aime… je l’ai aimé… mais tenez, vous autres gros messieurs, vous êtes si enjôleurs de filles, que je ne puis m’y fier.

— Quoi ! belle Rose, vous me croiriez capable de vous tromper ? s’écria l’inconnu. Je vous jure par ce que j’ai de plus sacré… par…

— Oh ! non, ne jurez pas ; je vous crois, dit la pauvre fille ; mais mon père n’y consentira peut-être pas.

— Votre père, dit l’étranger avec un sourire amer ; dites que vous êtes à moi et je me charge du reste.

— Eh bien ! oui, répondit-elle.

— Donnez-moi votre main, dit-il, comme sceau de votre promesse.

L’infortunée Rose lui présenta la main, qu’elle retira aussitôt en poussant un petit cri de douleur ; car elle s’était senti piquer ; elle devint pâle comme une morte et, prétendant un mal subit, elle abandonna la danse. Deux jeunes maquignons rentraient dans cet instant, d’un air effaré, et prenant Latulipe à part, ils lui dirent :

— Nous venons de dehors examiner le cheval de ce monsieur ; croiriez-vous que toute la neige est fondue autour de lui, et que ses pieds portent sur la terre ?

Latulipe vérifia ce rapport et parut d’autant plus saisi d’épouvante, qu’ayant remarqué tout à coup la pâleur de sa fille auparavant, il avait obtenu d’elle un demi-aveu de ce qui s’était passé entre elle et l’inconnu. La consternation se répandit bien vite dans le bal ; on chuchotait et les prières seules de Latulipe empêchaient les convives de se retirer.

L’étranger, paraissant indifférent à tout ce qui se passait autour de lui, continuait ses galanteries auprès de