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CONTEURS CANADIENS-FRANÇAIS

Les habitants n’étaient pas aussi cossus dans ce temps-là qu’ils le sont aujourd’hui ; oh ! non. La bonne femme prit un petit verre sans pied, qui servait à deux fins, savoir : à boucher la bouteille et ensuite à abreuver le monde ; puis, le passant deux ou trois fois dans le seau à boire suspendu à un crochet de bois derrière la porte, le bonhomme me le présenta encore tout brillant des perles de l’ancienne liqueur, que l’eau n’avait pas entièrement détachée, et me dit : « Tenez, monsieur, c’est de la franche eau-de-vie, et de la vergeuse ; on n’en boit guère de semblable depuis que l’Anglais a pris le pays. »

Pendant que le bonhomme me faisait des politesses, la jeune fille ajustait une fontange autour de sa coiffe de mousseline, en se mirant dans le même seau qui avait servi à rincer mon verre ; car les miroirs n’étaient pas communs alors chez les habitants. Sa mère la regardait en dessous avec complaisance, tandis que le bonhomme paraissait peu content. « Encore une fois, dit-il, en se relevant de devant la porte du poêle et en assujettissant sur sa pipe un charbon ardent d’érable, avec son couteau plombé, tu ferais mieux de ne pas y aller, Marguerite.

— Ah ! voilà comme vous êtes toujours, papa ; avec vous on ne pourrait jamais s’amuser. — Mais aussi, mon vieux, dit la femme, il n’y a pas de mal, et puis José va venir la chercher, tu ne voudrais pas qu’elle lui fit un tel affront ?

Le nom de José sembla radoucir le bonhomme.

— C’est vrai, c’est vrai, dit-il entre ses dents ; mais promets-moi toujours de ne pas danser sur le mercredi des Cendres ; tu sais ce qui est arrivé à Rose Latulipe…

— Non, non, mon père, ne craignez pas ; tenez, voilà José.