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l’îlot errant de waterloo

Puis épuisé, affaibli, perdant son sang, il avait succombé sous les crocs acérés des fauves qui l’avaient dévoré jusqu’aux os.

C’était là l’hypothèse la plus vraisemblable, la seule admissible, le ballot de marchandises se trouvant là intact, ce qui écartait la théorie du vol par un sauvage abénaquis comme il en passait parfois dans le canton.

Il ne pouvait être question d’inhumer le cadavre d’un israélite à côté de ceux de chrétiens. Aussi, on creusa une fosse près de la hutte et on y jeta les ossements.

Mais, me dites-vous, vous paraissez au terme de votre récit et il n’est toujours pas question de cette île errante dont vous deviez éclaircir le mystère !

Tout beau, c’est qu’il me reste à enregistrer un dernier fait, à poser une constatation définitive : c’est que la hutte de Laxtham et sa fosse se trouvaient sur cette pointe de terre qui, au printemps de 1812, se détachait du rivage pour devenir l’ilôt errant.

Et quel rapport… ?

Mais ce que je déduis en toute logique — car la conclusion me paraît découler rigoureusement des prémisses — que la malédiction s’accomplit, implacable, inéluctable : ni trêve ni repos !

Qu’il soit dans le ventre du loup ou enfoui sous terre, le rejeton d’Isaac Laquedem ne saurait se soustraire à l’arrêt fatidique ; toujours ce qui reste de lui vagabonde sans jamais pouvoir se fixer définitivement. Pour tout le monde, la tombe est le repos suprême, excepté pour le Juif Errant. Ainsi l’a décrété le courroux céleste après l’ignominie du Golgotha.

Et sans doute, éperdue et désolée, erre aussi entre le parvis céleste et la géhenne redoutée, l’âme de Samuel Laxtham jusqu’au jour où, dans la vallée de Josaphat, éclateront les trompettes du jugement dernier alors que la miséricorde infinie donnera à cette âme en peine, en même temps qu’à l’ilôt errant de Waterloo, le repos éternel.

Waterloo, juin 1911.